•     Astelle tremblait de tout son corps. L'Auguste avait mis ses mains sur ses épaules pour tenter de l'apaiser, mais la pauvre fille ne pouvait pas s'arrêter. C'était la première fois qu'elle faisait face à autant de personnes, elle était complètement horrifiée. Arcane chercha à croiser son regard, peut-être une figure amicale la calmerait-elle ?

    « Notre Mère à tous... » répéta en chœur l'assemblée.

        Elle avait assisté à des dizaines de Contemplation mais en voyant son amie assise sur ce trône, pour la première fois Arcane essaya d'imaginer ce qu'on pouvait y ressentir. De la fierté, très certainement. Et puis beaucoup d'anxiété, car il s'agissait d'une cérémonie décisive pour tout Initié. C'est au cours de cette cérémonie que chacun devait trouver son Totem, et ainsi passer Mécène. Le premier pas vers le statut de Maître.

    « Aujourd'hui nous célébrons la Contemplation de l'une de nos Initiés. Astelle, après six années d'études et de préparation, tu vas découvrir ton Totem. » Articula l'Auguste.

        Arcane se sentit soudainement observée, comme si un regard brûlant venait de se poser sur sa nuque. Elle se retourna discrètement, et vit parmi les Adeptes que le Prince Alunir assistait également à la cérémonie.

    « Découvrir ton Totem... » répéta tout le monde, sauf le Prince.

        Arcane lui lança un regard mauvais, qu'étrangement il ne lui rendit pas. Elle remarqua que cette fois-ci il était seul, le couple royal ne l'avait pas accompagné. Il semblait perdu dans ses pensées, la fixant comme s'il fixait un mur ou une chaise. Arcane, soucieuse des convenances, lui fit malgré tout une légère courbette. Cela sembla le sortir de ses songes, et enfin il réalisa que la jeune fille l'observait et attendait un salut à son tour. Il la dévisagea de la tête aux pieds, puis reporta son attention sur la cérémonie sans lui adresser le moindre signe. De colère, elle faillit lui lancer son livre dans la figure, mais se retint. Astelle serait furieuse si sa camarade venait à gâcher sa Contemplation.

    « Désormais il t'accompagnera tout au long de ta vie. Il sera ton guide, ton ami et ton allié. Et jamais il ne te quittera. »

        Alors que la jeune Initiée se concentrait à nouveau sur le rite, quelqu'un vint bousculer son épaule et descendit les rangs de l'amphithéâtre triangulaire devant elle. La jeune fille laissa s'échapper un râle de mécontentement, mais les deux personnes qui descendaient vers la pointe de la salle ne se retournèrent pas, ils continuèrent comme si de rien n'était. L'Auguste s'arrêta dans son discours à ce moment-là, et les regarda s'approcher d'un air soucieux. Ils accélérèrent le pas en voyant que tout le monde les observaient. Puis d'un geste de la main, elle ordonna au Mécènes autour d'eux de les arrêter. Une demi-douzaine d'entre eux se jetèrent sur les deux intrus, sous le regard horrifié du reste de la salle. Ils se débattirent et cherchèrent à rejoindre le trône de toutes leurs forces, criant et donnant des coups autour d'eux comme des bêtes.

    « Laissez-nous ! Tout ce que nous voulons c'est elle ! Laissez nous passer ! » crièrent-ils.

    « Enfermez-les dans les donjons. Et attachez les bien fermement. » cingla l'Auguste.

        Les deux intrus se firent traîner dans les marches par les quelques Mécènes qui les avaient arrêté. Ils étaient à mi-chemin quand ils s’immobilisèrent devant la main tendue du Prince, qui leur barrait le passage.

    « Lâchez-les. Ils sont sous ma protection, je vais m’occuper d’eux. »

        Tous semblèrent troublés et surpris. Les prisonniers y compris, car ils observaient le jeune homme avec de grands yeux confus. Les Mécènes, la même expression béate sur le visage, ne libérèrent pas le couple d’Adeptes, mais se tournèrent vers l’Auguste avec un regard interrogateur. Celle-ci s’adressa au futur souverain avec un ton des plus autoritaire.

    « Mon Prince, nous apprécions tous votre dévotion pour le peuple, mais ces deux personnes doivent être punies. »

        Il répondit exactement sur le même ton.

    « Je déciderai de cela par moi-même. Je vous ordonne de me les confier. »

        Les regards de la salle passaient successivement du Prince à l’Auguste, le silence autour d’eux étant presque palpable. L’un affichait un air défiant et sûr de lui, tandis que l’autre semblait surprise de cet intérêt soudain pour ces paysans. Elle répondit enfin, sur un ton qui se voulait sans appel.

    « Emmenez-les. »

        Les Mécènes contournèrent le jeune Prince en prenant soin de ne pas croiser son regard. Les prisonniers avaient arrêté de se débattre, à présent ils fixaient le garçon qui avait voulu les sauver avec des yeux suppliants. Ils furent traînés hors de la salle, sous le regard scandalisé du Prince. Il se retourna vers l’Auguste en quête d’une réponse.

        Réponse qu’elle ne lui donna pas.

        La cérémonie reprit son cours comme s’il ne s’était rien passé. Chacun revint à sa place, et hormis quelques chuchotements dans les rangs des Adeptes, rien ne vint perturber le reste de la Contemplation.

    « Il sera ton phare dans la nuit, ton eau dans le désert, ton air lorsque tu suffoqueras et ton pain lorsque tu t'éteindras, accablée par la faim. Accepte-le et accueille-le. »

        Le regard d’Arcane croisa celui de sa mère. Elle paraissait inquiète. Elle suivit le Prince Alunir des yeux tandis qu’il quittait la salle sans un mot. Une multitude de questions traversèrent l’esprit de la jeune fille. Pourquoi s’était-il interposé ? Qui étaient ces gens et que voulaient-ils ? Complètement perdue dans ses pensées, Arcane ne faisait plus attention à ce qui se passait autour d’elle. Seul le bruit de la porte se fermant derrière le Prince parvint à ses oreilles.

    « Car toi et lui ne ferez plus qu'un. Comme le jour et la nuit, l'ombre et la lumière… »

        Pourquoi voulaient-ils nuire à L’Ordre ? Pourquoi s’en prendre à sa mère devant tout le monde comme ils l’avaient fait ? Une myriade d’explications lui vinrent en tête mais aucune ne semblait plausible.

    « …l'Homme et son Totem. »

        Astelle, toujours sur son trône, semblait au bord de l’évanouissement. Elle était devenue pâle comme un linge. Cette simple vision ramena Arcane à la réalité. Le discours était à présent fini, et l’ensemble de la salle se leva et observa la jeune fille aux cheveux noirs de jais quitter la salle en tremblant de tout son corps. Elle leva les yeux au dernier moment et croisa le regard compatissant d’Arcane, qui lui adressait un large sourire qui se voulait rassurant.

        L’Initiée avait passé la porte de la salle à présent. Chacun porta sa main à son front, ferma les yeux et lui souhaita ‘bonne chance’. Elle était seule à présent. Et tout ne dépendait plus que d’elle.

        Sa Contemplation allait commencer.

     

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  •     Arcane entra dans la chambre sans frapper, comme à son habitude. La première chose qui lui sauta aux yeux fut les rideaux bleus roi qui ornaient le lit de l’Auguste. Lourds et vieux, ils se mariaient royalement aux coussins qui parcouraient le fauteuil de lecture, au coin de la pièce. Des tapisseries aux couleurs ternies étaient pendues aux murs, représentant des animaux de toutes sortes tandis que des gravures de scènes historiques Ametiennes défilaient sur les murs de la chambre. Il y avait plusieurs représentations de l’Entité disposée un peu partout. Des statues, des toiles, et même des mosaïques à certains endroits. Le plafond, abîmé par le temps, avait dû être peint il y a quelques siècles, mais aujourd’hui seules quelques teintes pâles persistaient dans les coins. La pierre utilisée pour les murs et le sol était différente du reste du bâtiment, elle était lisse et claire, et magnifiquement décorée. Le détail dans les dessins et les incrustations était extraordinaire. Il y avait tant à voir qu’on ne savait pas où poser le regard. Arcane fit quelques pas dans la pièce et referma la lourde porte en bois derrière elle.

        Sa mère se tourna vers elle à son approche et l’observa attentivement de haut en bas. Sans un mot, elle lui intima de tourner sur elle-même. La jeune fille s’exécuta sans le moindre enthousiasme, poussant au passage un long soupir d’exaspération. Afin de fêter le début de l’été, une célébration était tenue chaque année à la même période, et exigeait une tenue toute particulière. Sa mère avait voulu vérifier celle de sa fille avant que celle-ci ne rejoigne les autres dans les jardins de la Curiosité.

        Cette année l’accoutrement avait été créé par un des meilleurs Mécène de ces dernières décennies, un jeune homme qui avait passé sa Contemplation il y a seulement deux ans, et qui avait été accepté comme couturier officiel de l’Ordre. Un privilège immense pour un homme aussi jeune. L’habit était seyant, moulant, aux couleurs sombres et d’une simplicité qu’Arcane appréciait tout particulièrement. Pas de froufrous, pas de coiffure extravagante, pas de bijoux par milliers. Une simple robe bleue nuit ornée de perles argentées disposée çà et là, et un voile léger voletant dans le dos, aux couleurs de la lune. Une tenue simple et sobre comme on en voyait rarement dans l’Ordre.

        L’Auguste hocha enfin de la tête, signe qu’elle était satisfaite de l’apparence de sa fille. Arcane, s’observant dans le miroir, ne partageait pas ce sentiment. Certes, la tenue était élégante, mais son corps mince et sans formes donnait l’impression d’un chiffon sur une brindille. Sa mère sembla remarquer son désarroi et vint faire quelques réajustements de dernière minute. Tandis qu’elle travaillait le drapé des hanches et des épaules de sa fille, elle rompit soudainement le silence.

    « Arcane, je n’avais aucune idée de ce qu’elle allaient te demander d’accomplir. Je suis désolée. »

        Arcane fut complètement prise au dépourvu. Elle ne s’attendait pas à parler des Maîtres et de la mission qui lui avait été confiée en venant ici. De plus, sa mère n’était habituellement pas du genre à s’excuser. Elle la laissa poursuivre en silence.

    « Aider le Prince à trouver son Totem… Un Profane ! Et pourquoi pas rendre la vue à un aveugle ? »

        Sa voix s’était brisée à la fin de cette dernière phrase. La colère défigurait son visage de poupée, mais elle restait concentrée sur son ouvrage, relevant la robe à certains endroits, la resserrant à d’autres. Arcane voulut poser une main rassurante sur elle, mais sa mère avait déjà fini et s’éloignait pour constater le résultat. Il sembla lui convenir, car son visage se détendit légèrement. Elle s’assit ensuite à sa coiffeuse pour s’occuper de sa propre tenue, tandis qu’Arcane admirait le résultat. Cette dernière prit la parole au bout de quelques minutes.

    « Comment suis-je sensée m’y prendre ? »

    « Comme les Maîtres te l’ont dit, tu auras accès à tous les manuscrits de l’Ordre. Y compris ceux des archives. Je pense que tu devrais commencer par là. »

    « Y a-t-il des livres sur la manière de trouver son Totem sans Initiation ? Sans Contemplation ? »

        L’Auguste fronça les sourcils.

    « Je ne sais pas ce que tu y trouveras. Je compte sur toi pour choisir la bonne solution. »

    « D’accord. » répondit distraitement Arcane.

        Elle réfléchissait déjà à la manière de s’y prendre, peut-être pourrait-elle trouver une solution dans les archives des Maîtres. Il existait sûrement des moyens peu conventionnels qui pourraient marcher.

    « Arcane. »

        L’intéressée releva la tête. Sa mère avait sorti son peigne de la coiffeuse et la fixait dans le miroir à présent.

    « Arcane, j’espère que tu comprends que tu dois faire ça dans les règles. Aucune ruse, aucune triche ne sera tolérée par les Maîtres, elles prendront soin de vérifier que tu as bien suivi les principes de l’Ordre. »

        Elle hocha lentement de la tête en guise de réponse. Cela compliquait encore plus les choses ! Il allait vraiment lui falloir un miracle pour réussir. Elle commença à se ronger les ongles alors que sa mère commençait son traditionnel coiffage.

        Sa principale difficulté était le fait qu’elle-même n’avait pas passé sa Contemplation. Elle ne connaissait rien de la manière conventionnelle de trouver son Totem, puisqu’on lui refusait.

        Elle releva la tête et observa sa mère qui se peignait difficilement dans le miroir. Celle-ci s’arrêta un instant pour fermer les yeux, elle sembla se concentrer un instant, puis les rouvrit. Au sommet de son crâne, deux bosses marron apparurent. D’abord petites, elles se mirent à grossir puis à pousser comme des plantes, se séparant à divers endroits, toujours en restant symétriques l’une par rapport à l’autre. En quelques secondes, elles devinrent deux majestueux bois de cerf ornant gracieusement la tête de l’Auguste. Celle-ci y pendit des mèches entières de cheveux et entreprit de tresser le reste.

    « Que se passe-t-il après le discours de Contemplation ? Une fois qu’ils quittent la salle, où vont les Initiés ? » demanda Arcane.

        L’Auguste, bataillant avec sa longue crinière blonde, s’arrêta un moment, ouvrit la bouche pour parler, puis se ravisa. Elle eut un regard désolé, mais ne répondit rien.

        Bien sûr qu’elle ne pouvait rien dire. C’était un moment sacré dont personne ne pouvait parler. Personne, pas même l’Auguste. Pas même pour aider sa fille.

        Arcane tenta une autre question.

    « Pourquoi moi ? Pourquoi les Maîtres ne le font-elles pas elles-mêmes si c’est aussi important ? »

    « C’est bien plus complexe que ça, Arcane. »

        Elle marqua une pause.

    « Tu dois comprendre que l’Ordre n’est plus ce qu’il était. Nous perdons en pouvoir, nous perdons en influence, et bientôt Ametis ne croira plus en nous. Nous ne serons plus que cette vieille croyance dont les vieux fous parlent en riant au coin du feu. L’Ordre ne sera plus qu’un souvenir, et Ametis sera peuplée de Profanes et d’Hybrides. L’Entité sera oubliée, tous ses préceptes, tout son amour, et tout ce qu’elle nous a légué. »

        La jeune fille avait les yeux écarquillés par l’horreur. Elle voulut demander quel était le rapport avec le Prince Alunir, mais sa mère continua avant qu’elle ne puisse formuler la moindre question.

    « Nous ne pouvons pas permettre à un Profane de monter sur le trône et de diriger Ametis. Le Prince doit trouver sa voie jusqu’à la Grande Mère. De gré ou de force. »

        Elle marqua une pause, puis leva les yeux vers sa fille.

    « Tu dois faire du Prince notre allié, Arcane. S’il ne l’est pas avant de monter sur le trône, nous sommes tous perdus. »

        Ceci sembla clore la conversation, car elle se leva, admira sa coiffure parée de perles blanches et argents, et fit signe à sa fille de descendre aux jardins avec elle.

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  •    Lorsqu’elles arrivèrent, une dizaine d’Initiées étaient déjà présentes, toutes portant la même robe festive qu’Arcane. Elle remarqua que cette tenue se mariait parfaitement à ce moment de la journée. Le soleil se couchait, le ciel se parait d’or et de rouge, tandis que le bleu de la nuit, pareil à sa robe, se montrait timidement, accompagné des quelques étoiles les plus brillantes.

       Sa mère l’abandonna pour aller saluer les Maîtres et les complimenter -à contrecœur- sur leurs tenues. Le regard d’Arcane croisa celui de la femme-ourse qui l’avait tant effrayé l’autre jour. Le Maître l’observait également, et bien qu’elle fut sous sa forme humaine, pendant une fraction de seconde la jeune fille cru voir le même regard noir charbon dans ses yeux.

       Elle fut tirée de ses songes par une main bienveillante qui vint se poser sur son épaule. Le sourire aux lèvres et les yeux pétillants, la Reine la salua, apparemment ravie de la voir. Arcane lui fit sa plus belle courbette.

    « Tu es vraiment ravissante, dans cette tenue. Le portrait craché de ta mère. »

       Arcane la remercia du compliment et servit deux verres, dont un elle qu'elle tendit gracieusement à la Reine.

    « J'ai toujours rêvé d'avoir un fille, tu sais ? Elaphe a eu plus de chance que moi sur ce coup-là... »

       Devant le regard interrogateur d'Arcane, elle s'empourpra.

    « Je suis très heureuse d'avoir Alunir, ne te méprends pas. Mais... Il manque un petit peu de tendresse dans cette famille... Entre mon époux et mon fils, je ne trouve pas cette complicité que je pourrais avoir avec une fille. Tu connais Alunir, parfois il est... »

    « Froid. » trancha Arcane.

       La Reine sembla surprise par sa réponse. « J'aurais plutôt dit ''rêveur''. »

       La jeune Initiée préféra ne pas répondre. Elle n'avait jamais eu une très bonne opinion à propos du Prince. C'était un mufle et il était d'une impolitesse scandaleuse. Elle ne le portait vraiment pas dans son cœur. La Reine se rendit compte qu'il valait mieux changer de sujet.

    « Les Jardins de la Curiosité n'ont vraiment pas changé d'une feuille, c'est impressionnant. Ils sont restés identiques depuis que j'ai quitté l'Ordre. La même beauté sauvage, les mêmes couleurs flamboyantes. Pas un arbre, pas un buisson ne manque à l'appel. »

    « Oui, ma mère me dit souvent la même chose. J'ai cru comprendre que vous aviez fait votre Initiation ensemble, c'est bien cela ? »

    « Tout à fait, moi et Elaphe sommes des amies de longue date. Nous avons quasiment grandit ensemble. Enfin, jusqu'à ce que je doive quitter l'Ordre pour monter sur le trône. »

    « Après votre Contemplation, j'imagine ? »

    « Avant, à vrai dire. Ma mère est décédée assez subitement, j'ai dû couper cours à mes six ans d'enseignement pour prendre sa place. »

       Les yeux d'Arcane s'agrandirent soudainement. Elle tenta de cacher sa surprise, en vain. La Reine lui fit un clin d’œil malicieux.

    « Ne t'en fais pas, je ne suis pas une Profane. J'ai trouvé mon Totem par moi-même, quelques années plus tard. Je sais bien que l'Ordre voit cela d'un mauvais œil, mais selon moi il faut savoir vivre avec son temps. Mon mari a également trouvé son Totem par lui-même, tu sais. C'est pour cela, nous avions cru... »

       Elle se tut, et sembla méditer sur ce qu'elle venait de dire. La jeune fille remarqua cet instant de réflexion.

    « Vous vous inquiétez pour votre fils, Altesse ? »

    « Oui... Maintenant que j'y pense, j'aurais dû l'envoyer faire son Initiation quand il était jeune, je n'aurais pas dû lui laisser le choix. Au moins il aurait fréquenté des personnes de son âge, il n'aurait pas passé toutes ses journées enfermé dans le château à lire. »

       Arcane ne pouvait être plus d'accord. Elles ne parlèrent plus pendant une minutes ou deux, elles étaient toutes deux plongées dans la contemplation de la fête. Laedris brisa enfin le silence.

    « Tu penses réellement qu'Alunir est quelqu'un de froid ? »

       La jeune fille fit de son mieux pour ne pas croiser son regard. Elle continua d'observer les alentours et tenta de répondre de la manière la plus détendue possible.

    « Disons simplement que le Prince ne parle pas beaucoup. Il ne répond quasiment jamais quand on lui parle, et semble éviter les gens en permanence. Mais peut-être ai-je tort, peut-être n'est-il comme ça qu'avec moi... »

       Arcane marqua une pause. Elle plongea finalement ses yeux dans ceux de la Reine, et se tourna complètement vers elle.

    « Est-ce que vous pensez que le Prince me déteste ? »

       Un sourire rassurant vint étirer les lèvres de la souveraine, elle semblait heureuse de voir que la jeune fille se préoccupait des sentiments d'Alunir envers elle. Elle posa sa main sur son épaule.

    « Non, je ne pense pas. Il a simplement du mal à interagir avec les autres. »

    « J'imagine que vous êtes déjà au courant mais... Je dois l'aider à trouver son Totem... Comment faire s'il refuse de me parler ? Ou simplement de m'écouter ? »

       Laedris resservit les deux verres. Elle n'eut pas à réfléchir longtemps.

    « Alunir aime particulièrement l'Histoire. Il est passionné par les vieux livres, les endroits abandonnés, les reliques anciennes... Peut-être devrais-tu commencer par là... pour l'amadouer. »

       C'est ce moment que choisit l'Auguste pour les rejoindre, grimaçant à moitié.

    « Ah, vous êtes là ! Vite, éloignons-nous ou ces Maîtres ne me lâcheront jamais ! »

       La souveraine et l'Initiée la suivirent toutes deux derrière un grand buisson taillé en forme d'oiseau. Elles trinquèrent, puis reprirent leur conversation sur le Prince. L'Auguste avait sa propre opinion sur le sujet, et ne manqua pas de la partager.

    « Laedris, vous devriez apprendre les bonnes manières à votre fils ! Se mêler d'une arrestation au sein de l'Ordre, voilà des choses qui ne se font pas ! »

    « Je vous présente toutes mes excuses pour l'attitude scandaleuse de mon fils, Elaphe. » Répondit-elle, embarrassée au plus haut point. « Soyez assurée qu'il viendra lui-même vous présenter ses excuses samedi, à la Consécration, et que ce genre de sottises ne se reproduira plus ! »

       L'Auguste parut soulagée, elle trinqua une fois de plus avec la Reine, manière de signifier que le sujet du Prince était clos.

    « En parlant de ça, » commença Arcane « qu'est devenu le couple qui a voulu vous attaquer, mère ? »

    « Ils sont tous deux dans les donjons de l'Ordre, ils seront jugés la semaine prochaine. Nous avons bien trop à faire en ce moment pour nous soucier d'eux. »

       Quelques Initiées passèrent près d'elles, chacune pris soin de faire une courbette en passant près des deux grandes dames. Arcane se sentit amèrement ignorée. Elle tenta de relancer le sujet.

    « Qu'en est-il d'Astelle ? Est-elle toujours en Contemplation ? »

    « Effectivement, elle y restera certainement jusqu'à samedi. » répondit sa mère tout en rendant leur saluts aux jeunes filles une par une.

       La curiosité d'Arcane, une fois de plus, était piquée au vif. Que pouvait-il bien se passer durant cette Contemplation pour qu'elle dure si longtemps ? Était-ce difficile ? Était-ce douloureux ? Ou bien simplement pénible ?

    « Vas-tu assister à la Consécration, Arcane ? J'aimerais beaucoup t'y voir. Tu pourrais apprendre à danser à mon fils, par exemple ! »

       Les deux mères se mirent à rire aux éclats, sous le regard blazé de l'Initiée. Elle eut beau essayer de les calmer, rien n'y fut. Au bout de cinq bonnes minutes où elles s'esclaffaient toujours comme des baleines, la jeune fille prit congé d'elles et leur souhaita une bonne soirée.

     

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  • Arcane ne dormit que peu, cette nuit là. Ses camarades de chambre avaient parlé toute la nuit de la Consécration qui arrivait, et de leur nouveau Totem qu’elles devaient présenter à cette occasion. Aucune d’elle ne révéla quel animal les avait choisi, mais elles prirent un malin plaisir à le dévoiler à demi-mot dès qu’elles le pouvaient. La jeune Initiée s’était retourné dans tous les sens, avait rebordé son lit plusieurs fois, s’était enfouie la tête dans les oreillers. Rien n’y faisait. Il lui avait été impossible de dormir. « Si Astelle avait été là, elle les aurait fait taire, au moins » s’était-elle dit plusieurs fois en observant le lit vide de sa camarade.

    C’est un petit peu après sept heures qu’Arcane se leva, et prit un malin plaisir à faire le plus de bruit possible tout en s’apprêtant. Elle enfila sa tunique bleue, noua ses cheveux blancs en leur habituel chignon bas, attrapa son livre de chevet, et sorti de la chambre en claquant la porte. Une fois de plus, elle faillit trébucher sur le chat du dortoir, mais se retint de justesse sur une table en verre très étroite qui faisait l’angle. Elle lâcha un juron de mécontentement et le dégagea du bout du pied.

    Les couloirs n’étaient pas aussi vides que d’habitude, quelques Initiés et jeunes Mécènes s’y promenaient, profitant de leur matinée de libre. Dans le cloître on pouvait voir qu’un superbe soleil séchait la pelouse de sa rosée. Le temps était chaud et humide, chose extraordinaire qui balaya la mauvaise humeur d’Arcane très rapidement. Elle hésita à aller s’allonger dans l’herbe, mais quelques personnes avaient eu la même idée, et elle désirait être seule pour lire. Par la petite arche qui donnait sur les jardins en contrebas, elle put voir qu’eux aussi  étaient occupés par bon nombre d’Initiés.

    Elle prit à gauche et enjamba les marches de pierres quatre à quatre jusqu’au chemin de ronde. D’ici elle pouvait voir toute la cour, ainsi que les jardins et l'orangeraie qui s'étendait jusqu'au château royal. Les cuisines n’étaient qu’à quelques mètres, et l’odeur lui parvint aux narines. Impossible de se concentrer avec une fumet pareil. Elle longea le chemin pendant quelques minutes, appréciant la chaleur du soleil sur ses épaules et sur sa tête, puis descendit enfin par l’escalier extérieur. Là se trouvait une petite cours fleurie, où plusieurs statues étaient exposées. Elles étaient toutes vielles, rouillées et recouvertes de lierre. Si bien qu’on ne voyait plus réellement ce qu’elles représentaient. Il n’y avait pas beaucoup de soleil dans cette petite cours, mais au moins elle pourrait être tranquille. Ce spectacle de sculptures et de dalles mortuaires en ruine n’attrayait personne, il était depuis longtemps à l’abandon et peu de gens penseraient à s’y arrêter pour profiter de ce beau temps. Arcane s’allongea sur un banc qui était partiellement éclairé par le soleil et entama sa lecture avec un soupir de soulagement.

    Après un bon quart d'heure de paisible silence, un léger bruit de feuilles se fit entendre derrière elle. Elle tourna la tête mais ne vit rien. Quelques secondes plus tard, le craquement d'une brindille la fit se lever. Il ne s'agissait sûrement de rien, mais cette ambiance lugubre de statues et de pierres en ruines ne faisait rien pour la rassurer. Arcane se sentait observée. Elle quitta son banc et se mit en quête de trouver la provenance du bruit. Peut-être n'était-ce qu'un petit animal qui passait par là, mais elle préférait en être sûre. Elle ne serait pas tranquille tant qu'elle n'en aurait  pas le cœur net.

    Elle contourna une grande dalle de pierre, où une statue à genoux montrait ses poings liés par une corde. Derrière celle-ci, Arcane découvrit un jeune homme accroupit près d'une dalle. Il balayait de la main les inscriptions gravées dessus, et ne sembla pas remarquer l'arrivée de la jeune fille. Elle remarqua ses cheveux gris et sa peau sombre, et comprit rapidement qu'il s'agissait du Prince Alunir. Une envie soudaine de troubler sa quiétude vint à elle, mais elle la repoussa et resta à l'observer. Elle était bien trop curieuse de savoir ce qu'il faisait dans cette partie oubliée du bâtiment papal. Le jeune homme était absorbé par les écrits qu'il venait de dépoussiérer, il les notait consciencieusement dans un petit livret qu'il portait autour du cou.

    Après quelques minutes Arcane décida qu'il était temps d'aller le voir. Elle s'approcha en se raclant la gorge, et le Prince se retourna vers elle.

    « Belle matinée, mon Prince. Comment allez-vous ? »

    De toute évidence, le jeune homme semblait surpris de la voir. Elle remarqua également que c'était la première fois qu'il la regardait dans les yeux. Comme s'il la voyait réellement, alors qu’auparavant elle avait l'impression de faire partie du décor à chaque fois qu'elle le croisait. Il se releva lentement et ferma son livret, qu'il enfoui sous sa chemise.

    « Qu'est-ce que tu fais là ? » Demanda-t-il avec des yeux grands comme des soucoupes.

    « Je pourrais vous poser la même question. »

    Il jeta un regard furtif à la dalle qu'il détaillait quelques secondes plus tôt mais ne dit rien. Devant l'absence de réponse, Arcane leva son livre de chevet sous ses yeux.

    « Je suis venue lire. J'espérais être tranquille. »

    Le Prince parut se détendre. Il arrêta de la regarder dans les yeux pour poser son regard sur la statue derrière elle. Et ainsi, Arcane se sentit à nouveau disparaître. Elle comprit qu'elle avait perdu son attention, et qu'il lui fallait vite la regagner. Elle se souvint alors des paroles de la Reine, et de son conseil à propos de la passion du Prince pour l'Histoire Ametienne.

    « J-je vois que vous vous intéressez à cet endroit, c'est... peu commun. Seuls quelques personnes connaissent l'existence de ce lieu et s'y arrêtent. Vous aimez les vieilles choses, mon Prince ? »

    Le garçon ne répondit pas, mais son regard se figea, comme si elle avait réussi à piquer sa curiosité. Machinalement, il posa sa main sur la dalle. Arcane frissonna de joie, elle avait enfin réussi à retenir son attention. Elle continua sur sa lancée.

    « Cet endroit est très vieux, que venez-vous chercher ici ? Est-ce cette tombe en particulier qui vous intéresse ? »

    A l'évocation de la pierre, il retira sa main se tourna vers celle-ci pour l'observer.

    « Pas exactement... A vrai dire, je cherche une dalle mortuaire bien précise. Mais impossible de mettre la main dessus. » murmura t-il tandis que son regard scrutait les autres tombes autour de lui.

    « Peut-être puis-je vous aider ? Je connais très bien le bâtiment papal et ses alentours. »

    Il sembla hésiter, puis l'interrogea du regard, comme s'il ne la croyait pas réellement.

    « Je suis la meilleure Initiée de l'Ordre depuis des décennies. Faites-moi confiance, je connais tout sur le bout des doigts. »

    Il se pinça les lèvres puis posa enfin sa question.

    « Très bien... Alors dis-moi, quel est cet endroit ? » il tendit les bras autour de lui pour montrer l'ensemble de statues et de tombes.

    Arcane ouvrit la bouche, prête à répondre avec une assurance peu commune, mais elle se rendit compte qu'elle n'en avait aucune idée. Pour elle et comme pour tout le monde ici, il s'agissait simplement d'un coin du bâtiment avec des statues en ruines. Personne ne s'était jamais demandé ce qu'il était, ni ce qu'il faisait là. Elle referma la bouche, pantoise.

    Le Prince parut s'agacer.

    « Alors dis-moi au moins à qui sont ces tombes ? Les noms sont illisibles, hormis les dates on ne peut rien décrypter ! »

    « Je... Je n'en sais fichtre rien. Sûrement des membres de L'Ordre, non ? »

    Le Prince donna un coup de pied rageur dans un pilier et s'en alla en marmonnant furieusement. Arcane courut à sa suite et agrippa son bras. Il se retourna vers elle et se dégagea

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  • « Attendez ! Allons à la bibliothèque, nous pourrons trouver toutes les réponses à vos questions. »

    « J'ai déjà cherché, il n'y a rien. D'ailleurs, tu ne trouves pas étrange que votre bibliothèque soit si petite après plus de cinq mille ans d'histoire ? Elle devrait déborder de livres, d'histoires, de manuscrits ! Où sont tous vos livres ? Pourquoi est-ce qu'on n'y trouve jamais ce qu'on cherche ? »

    Il sembla vouloir s'en aller à nouveau, mais Arcane lui barra le passage, en prenant soin de ne pas le toucher cette fois.
    « Avec tout mon respect, mon Prince, la bibliothèque n'est que pour les livres destinés au public. La véritable Histoire de l'Ordre et d'Ametis ne se trouve pas là. »

    Une lueur apparut dans le regard du Prince, et pour la seconde fois, ses yeux croisèrent ceux de la jeune Initiée.

    « Les Archives des Maîtres ! Mais oui, elles t'en ont autorisé l'accès ! »

    Un large sourire éclaira le visage d'Arcane. Et voilà, c'était dans la poche. Sans plus attendre, les deux compères se dirigèrent vers le bâtiment papal. Ils longèrent le chemin de ronde sans un mot, dévalèrent les escaliers quatre à quatre, et alors qu'ils traversaient la haute-cours le Prince dévia pour se diriger vers la bibliothèque. Arcane l'arrêta et lui fit signe de la suivre dans la direction opposée. Ils descendirent d'autres escaliers, plus étroits et plus longs, et parvinrent dans les sous-sols de l'Ordre. Ils passèrent devant des grilles de fer où des vieilles peaux de bêtes moisissaient par terre, accompagné de quelques bols rouillés. Aux murs, des chaînes pendaient lourdement, et une odeur nauséabonde se faisait sentir. Alors qu'ils s'apprêtaient à ouvrir la grande porte de bois massif qui leur faisait face, une grosse voix résonna derrière eux. Le geôlier.

    « Eh ! Qu'est-ce que vous faites là ? C'est pas un endroit pour les mioches, ici ! »

    L'homme s'approcha d'eux avec sa torche, et quand la lumière éclaira enfin leur visages, il se confondit en excuses.

    « Je suis vraiment désolé, je ne vous avais pas reconnus. Pardonnez-moi, vénérable Arcane, respectable Prince. »

    « Ce n'est rien. » dit la jeune fille « Nous sommes venus consulter les Archives des Maîtres. Ouvre-nous la porte, Mécène. »

    L'homme s'inclina encore plus bas qu'avant et s'excusa platement à nouveau.

    « Je vous demande sincèrement pardon, mademoiselle. Il est vrai que les Maîtres vous ont officiellement autorisé à consulter leurs Archives... »

    Il ne semblait pas vouloir finir sa phrase. Arcane l'y obligea.

    « Eh bien ? » aboya t-elle.

    « Hélas, l'autorisation ne concerne que vous, je ne puis laisser entrer notre bien-aimé Prince... »

    Les deux jeunes gens en tombèrent des nues. Alunir fut le premier à réagir.

    « Je suis de sang royal, je suis votre futur Roi ! Aucun accès ne peut m'être interdit ! »

    « Assurément, votre Altesse, mais les règles de l'Ordre font loi ici... Peut importe que vous soyez Prince ou Reine, si les Maîtres ne vous en donne pas l'accès vous n'avez nul droit d'entrer aux Archives... »

    « Écoutez, » dit Arcane le plus calmement possible « il doit bien y avoir une solution, non ? Les recherches que nous voulons mener dans les Archives sont pour lui, il doit trouver son Totem ! Les Maîtres m'ont confié cette mission ! Comment suis-je sensée faire s'il ne peut pas y entrer ? »

    « Toutes mes excuses, mademoiselle... » répondit simplement le geôlier.

    Il s'en alla vers le fond du couloir et tourna à gauche, où devait être son poste. Arcane, si tôt qu'il eut disparu, tenta d'ouvrir la porte. Elle tira, tourna, poussa la poignée de toutes ses forces, en vain. La porte de bougeait pas d'un centimètre. La jeune fille poussa un cri de rage, et frappa le bois du poing.

    « Aaaahh ! Impossible de l'ouvrir ! Ce Mécène doit avoir la clef... »

    Alunir, retrouvant son expression maussade habituelle, tourna les talons et commença à partir sans dire un mot. Il fut vite rattrapé par l'Initiée, qui lança un regard mauvais au geôlier en passant. Tous deux remontèrent à la surface par les mêmes interminables et étroits escaliers.

    « Je ne comprends pas ! C'est vraiment stupide, je suis la fille de l'Auguste ! Comment un [i]homme [/i]peut oser m'interdire quoi que ce soit ? Ce fils d'Hybride va payer ! Attendez que ma mère en entende parler ! »

    Lorsqu'ils arrivèrent à nouveau à la haute-cours, ils se serrèrent la main et se dirent au revoir.

    « Je t'avais gravement surestimé, je ne pensais pas que tu étais aussi inutile. Je suis déçu. »

    Surprise par cette méchanceté gratuite de soudaine, Arcane lui lâcha violemment la main. Il s'en alla dans la direction opposé et ne se retourna pas.

    Choquée et mécontente, Arcane s'en alla après quelques secondes de réflexion. Ce garçon était fou, et ingrat, elle ne voyait pas d'autre explication. Quel goujat. Elle avait fait de son mieux, ce n'était pas sa faute si ce maudit geôlier ne voulait pas le laisser entrer ! Elle monta les escaliers à vive allure, jusqu'en haut de la grande tour. Là se trouvait les quartiers de l'Auguste, et elle espérait bien s'entretenir avec elle sur la façon dont elle avait été traitée par cet abruti de Mécène. Alors qu'elle parvenait à la porte de la salle d'audience, d'où l'Auguste menait toutes les affaires de l'Ordre et recevait les membres qui désiraient lui parler, Arcane ralentit et ne fit plus un bruit. Quelqu'un d'autre était déjà en grande discussion avec sa mère, et la jeune fille ne put s'empêcher d'écouter.

    « Qu'en est-il du onzième ? » résonna la voix de l'Auguste.

    « Malheureusement, il est impossible à trouver, nous avons cherché partout... »

    « Comment est-ce possible ? Vous êtes-vous ramolli avec le temps, Thabel? »

    « Du tout » affirma l'homme « Simplement nous... nous avons épuisé les réserves.»

    Il y eu un silence de quelques secondes. Arcane pensa faire son entrée à ce moment-là, mais la conversation reprit.
    « Dites-moi, qu'en est-il de la petite ? »

    « Madame... ? » demanda l'homme d'une voix surprise.

    « Je veux dire, où en est-elle ? »

    L'homme ne semblait pas être à son aise, il hésita plusieurs secondes avant de répondre.

    « Elle est toujours dedans, elle finira sûrement dans deux jours. »

    « C'est trop long. Faites-la sortir. »

    Son interlocuteur poussa un cri scandalisé. Il ne semblait pas s'attendre à cette réponse. L'Auguste poursuivit.

    « La Consécration est demain, nous n'avons plus le temps. Je vous ordonne de la faire sortir. Et ajoutez-la aux dix autres. Écoutez, ne me regardez pas comme ça, j'ai assez de choses à traiter en ce moment. Entre la cérémonie de demain, la famille royale, ma fille, et les Maîtres qui veulent l'empêcher de me succéder je n'ai vraiment pas le temps de penser à ce genre de chose. Faites ce que je vous dis, et secouez-vous un peu. Ce n'est pas la première fois que nous faisons ça, et ce ne sera certainement pas la dernière. »

    Arcane choisit ce moment où l'on parlait d'elle pour entrer avec un demi-sourire, ravie d'entendre que sa mère se souciait autant de sa succession. Alors qu'elle passait la porte, elle toqua dessus pour s'annoncer.

    « Vous pouvez disposer, Thabel. » dit sa mère sèchement au Mécène.

    Avec une révérence très convaincante il se dirigea vers la porte, saluant au passage la jeune fille avec un profond respect. L'homme avait un visage taillé à la serpe, de grands yeux bleus transparaissaient sous sa capuche blanche et argent. Il semblait en très bonne condition physique mais sa peau était marquée par la fatigue et le soleil. Un très bel homme, bien qu'Arcane remarqua avec surprise l'absence de tatouages sur son visage et ses mains. Il sortit de la pièce sans la quitter du regard.

    Une fois la porte fermée, l'Auguste se leva de son siège lassement et vint étreindre sa fille.

    « De quoi parliez-vous avec ce Mécène, mère ? »

    « Oh, tu sais... Ce sont des problèmes que tu auras bien assez tôt, lorsque tu prendra ma place... Ne te tracasse pas avec ça dès maintenant, profite de ton ignorance. Profite. »

    Elle lui caressa les cheveux et l'invita à s'asseoir près d'elle.

    « Dis-moi, que me vaut l'honneur de ta visite ? »

    Arcane commença à lui conter toute sa matinée. Sa mère l'écouta avec grande attention, elle sentit même une pointe d'agitation dans son regard lorsqu'elle décrit sa rencontre avec Alunir. Sa mère ne la quitta pas du regard une seule fois. L'Initiée parla d'une voix scandalisée du Mécène qui avait avait refusé l'accès des Archives au Prince. Elle finit son récit en omettant la réflexion blessante de celui-ci au moment de se quitter. Lorsque Arcane acheva de parler, sa mère ne répondit pas tout de suite. Elle posa gentiment sa main sur le genou de la jeune fille et dit tendrement.

    « Il est important que le Prince n'entre pas dans les Archives, Arcane. Tu dois faire cela toute seule. »

    « Mais... »

    « Non. C'est un ordre. Le Prince [i]ne doit pas[/i] rentrer aux Archives. C'est compris ? »

    Arcane acquiesça, peu convaincue. Elle aurait aimé savoir pourquoi, mais le ton de sa mère était sans appel. Cela ne servait à rien d'insister. Sa mère coupa court à leur discussion.

    « Je te verrai ce soir au dîner. Va. »

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