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    Quelques petites notes pour s'y retrouver dans l'histoire...

     

    Teaser:

     

    L'Ordre est un roman fantasy, l'histoire se passe dans un univers appelé Ametis.

    Arcane, jeune Initiée ayant bientôt fini sa formation, est une jeune fille très intelligente et brave. Mais, ayant grandit au sein de l'Ordre, sa perception du monde est limitée et faussée par les préceptes qu'on lui a appris. Alors qu'elle est sur le point de passer sa cérémonie de Contemplation et d'enfin découvrir son Totem, elle doit faire ses preuves et se lancer dans une grande aventure avec un compagnon des plus étonnants !

     

     

    Voici les grades au sein de l'Ordre:
    Entité > Auguste > Maîtres > Mécènes > Initiés > Adeptes (> Profanes, mais eux ne font pas parti de l'Ordre...) 

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  •     Arcane descendit les marches de la tour quatre à quatre, enjamba la vieille boule de poils de chat qui servait de mascotte aux filles du dortoir, et couru vers la porte de bois qui menait à l'aile Est du bâtiment. Elle ne prit pas la peine de fermer la porte derrière elle et se rua dans la galerie du cloître en réajustant maladroitement sa robe de cérémonie. Un de ses précieux livres tenta de s'échapper de sa main mais elle le rattrapa habilement tout en poursuivant sa course. Traversant la cour par sa diagonale, elle ne se soucia pas de la pelouse fraîchement tondue dans laquelle elle laissait des empreintes de pas, et se hâta le long du couloir de marbre. Elle poussa le portail en verre qui s'ouvrit d'un bruit cristallin et entra dans la petite antichambre. Il n'y avait personne, pas même un Mécène pour tenir la porte aux arrivants.

        Elle profita du rayonnement du soleil qui perçait dans la petite salle pour s'observer dans le reflet des vitres qui l'encerclaient. La grille transparente se referma lentement derrière elle, sans le moindre bruit. Devant la dégaine qu'elle présentait, Arcane laissa échapper un râle d’exaspération. Il lui fallait encore quelques secondes pour reprendre son souffle, elle épousseta sa robe d'un revers de main et recoiffa ses cheveux en calant ses livres bien serrés entre ses jambes. Elle tira sa crinière blanche en arrière et l'attacha avec une ficelle en un chignon bas un peu sauvage. Impossible de faire mieux avec si peu de temps et de moyens. Elle réajusta sa frange, disciplina les quelques mèches rebelles qui lui résistaient encore et tenta de sourire à son reflet. Un visage fin, des pommettes saillantes, de grands yeux sombres et une peau plus grise que blanche, à force de rester à l'intérieur à longueur de journée. On lui avait appris à ne pas se soucier des apparences, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se trouver laide. Elle avait également un corps très fin, presque maigre, dressé sur les deux grandes quilles qui lui servaient de jambes. Des grandes mains pâles prolongées par de longs doigts fins, qu'aucun bijou ne venait parer, mais qui étaient décorées de tatouages ronds, de lignes courbes et de plusieurs symboles, marques réservés uniquement aux Initiés de l'Ordre. Arcane revint sur son visage. Inutile de sourire, en fin de compte. Elle se trouvait assez hideuse comme ça. Et son accoutrement n'arrangeait rien, le large tissu qui l'enveloppait était mille fois trop grand pour elle. Sobre, d'un bleu marine très voyant, il descendait aussi droit qu'un drap de ses épaules à ses genoux, sans le moindre pli au niveau de la poitrine ou des hanches. A son cou, une large écharpe blanche lui couvrait également les épaules et le haut du dos. Elle en arrangea un peu les plis, et sa respiration s'étant calmée, entra dans la Salle de Contemplation.

        Arcane était chaque fois tout aussi surprise par sa taille démentielle. D’une centaine de mètres de long, elle était décorée du sol au plafond par une multitude de détails et d’objets de toutes sortes. Le plancher était recouvert d’un immense tapis du même bleu roi que les tuniques des Initiés, et des dessins rouges et ors le parcouraient de long en large dans une parfaite symétrie. Les murs étaient en bois verni, on y avait sculpté des piliers recouverts de motifs d’arbres, de branches et de différentes végétations exubérantes. Le plafond, lui, était entièrement décoré d’une gigantesque fresque relatant des scènes de l’histoire de l’Ordre et de ses grandes héroïnes. Des cierges hauts de deux mètres étaient alignés le long des murs tandis que quelques vitrines étaient disposées aux angles de la salle, exhibant fièrement des reliques de l’ancien temps.

        A en juger par le silence de la salle, Arcane ne devait pas être trop en retard. Les membres de l'Ordre n'avaient pas encore commencé à chanter, donc la cérémonie n'avait pas encore débuté. Ce n'était plus qu'une question de secondes. Arcane longea le mur de droite, passa devant l'amas d'Adeptes qui se tenait debout au fond de la salle, et alla s’asseoir sur un des longs bancs réservés aux Initiés. A ses côtés, sa camarade Astelle, Initiée depuis bientôt six ans comme elle, avait ouvert son recueil de Contemplation à la première page et se tenait droite comme un i, scrutant la salle d'un air très sérieux, prête à assister au rite. Arcane l'imita du mieux qu'elle put.

        Devant elle se tenait une bonne cinquantaine de personnes, tous assis sur des chaises. La salle, disposée en triangle, partait d'un angle qui pointait au Sud où était représentée l'Entité. Leur grande déesse, leur éternelle vénérée, leur mère créatrice à tous. On la voyait exposée sous forme de sculptures, de tableaux, de grands vitraux, sous plusieurs aspects et visages différents. Devant ces portraitures de la Grande Mère, on pouvait voir un siège unique qui lui faisait dos, tourné vers le reste de la salle. Il s'agissait du seul aussi grand, aussi orné et aussi beau de toute la pièce. On y avait tressé des branches, glissé des feuilles et du coton, et le bois était sculpté avec une rare finesse. Dessus était assise une jeune demoiselle très nerveuse, qui tripotait sans cesse sa robe en jetant des regards terrorisés à l'amphithéâtre plein qui lui faisait face. Devant ce trône la salle grimpait en gradins jusqu'à la porte qu'avait franchie Arcane quelques secondes plus tôt. Tout en bas, proche du trône et des représentations de l'Entité, se trouvaient les Maîtres. Une petite assemblée d'une quinzaine de femmes d'âge mûr, parées comme des paons d'atours et de pierres rares, tatouées de la tête aux pieds de signes plus prestigieux les uns que les autres, et le regard fier de celles qui savent tout, ou en tout cas qui savent comment le savoir. Derrière elles se trouvaient les Mécènes, habillés plus humblement mais décorés par certains bijoux de métaux rares, certains la peau plus ornée de dessins que d'autres. Un peu plus haut dans la salle se tenaient trois longs bancs tous alignés où s'asseyaient les Initiés comme Arcane. Tous étaient vêtus du même costume bleu qu'elle, sauf qu'ils étaient bien plus seyant sur eux, et que chacun s'était apprêté le plus soigneusement possible avant de venir, contrairement à elle. Du coin de l’œil, elle observa la foule qui composait le haut de la salle, foule qu'elle avait traversé pour venir prendre sa place. Le fond était réservé aux Adeptes: les gens du commun qui suivaient les traditions et coutumes de l'Ordre depuis la ville. Certains arrivaient à obtenir une autorisation pour assister à la cérémonie de Contemplation d'un Initié. Il s’agissait généralement d'aspirants à l'Ordre ou de fervents serviteurs de la Grande Mère. C'était les seules occasions où Arcane pouvait voir des gens de l'extérieur. Ils semblaient bien sales et bien bêtes, la plupart n'avait pas leur livre pour la cérémonie, et l'autre moitié tenait le leur à l'envers. Arcane avait beau ne jamais être sortie du bâtiment papal, la simple vision de ces Adeptes lui confirmait qu'elle ne manquait pas grand-chose.

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  •     Elle jeta un coup d’œil circulaire dans la salle. La jeune fille aux cheveux blancs restait pantoise devant le silence parfait qui y régnait. Habituellement des chuchotements se faisaient entendre, même avant que l'Auguste n'arrive. La cérémonie n'allait pas tarder à débuter, mais personne ne pipait mot. Arcane se pencha vers l'oreille de sa voisine et murmura le plus doucement du monde :

    « Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tout le monde se tient à carreaux comme ça ? »

    « Regarde derrière toi. » répondit Astelle tout aussi bas.

        Arcane se retourna et chercha ce qui pouvait assagir une salle complète aussi efficacement. C'est ainsi que ses yeux croisèrent ceux de la Reine, du Roi, et du Prince d'Ametis, qui assistaient tranquillement à la cérémonie et se tenaient debout parmi les Adeptes. La famille royale entière avait le regard tourné vers elle, seule imbécile de la salle à ne pas regarder droit devant. Elle eut droit à un clin d’œil du Roi, un signe de la main de la Reine, et un discret hochement de tête de la part du Prince, qui acheva de la faire virer au pourpre. Elle les salua timidement, puis se retourna et fit mine de se plonger dans son livre de cérémonie. Rouge de honte, elle cria dans un murmure « Tu ne pouvais pas simplement me dire qu'ils étaient là ? »

    « Ça aurait été nettement moins drôle. » répondit Astelle, hilare.

    « Pourquoi sont-ils debout comme des gueux ? Personne ne leur a proposé de sièges ? »

    « Tu te doutes bien que tout le monde s'est précipité pour leur laisser leurs places, mais ils ont insisté pour rester parmi les Adeptes. »

        Arcane jeta à nouveau un coup d’œil derrière elle. Les gens du peuple, debout autour de la famille royale, avaient laissé un grand espace vital à celle-ci. Le roi aurait fait un tour d'épée qu'il n'aurait touché personne. Astelle murmura, davantage pour elle-même que pour Arcane :

    « De toute façon c'est leur juste place. Debout derrière nous. Le jour où ils soutiendront l'Ordre, ils auront droit à leurs sièges attitrés tout au devant de la salle, avec autant de pierres incrustées qu'ils le souhaitent. »

        La jeune Initiée ne répondit pas. Effectivement, la famille Royale n'était pas convertie à l'Ordre. La Reine, ainsi que sa mère, et sa grand-mère avant elle, avaient décidé de rendre le pays entier laïc. La plupart des Ametiens ne suivaient pas les préceptes de l'Ordre, et vivaient de manière tout à fait barbare. Sa majesté avait déclaré légal le mariage entre différents Totems, et l’existence des Hybrides. Pire encore, elle avait interdit l'emprisonnement ou la mise à mort des Profanes, chose qui selon Arcane était tout à fait scandaleuse.

        Arcane fut interrompue dans ses pensées par le brouhaha que fit l'ensemble de la salle en se levant. L'Auguste était arrivée. La jeune fille assise sur le trône semblait très stressée, elle se leva avec un temps de retard, et la salua très respectueusement. L'Auguste était parée de ses plus beaux atours, une longue cape ocre et dorée tombait en cascade de ses épaules jusqu'au sol et traînait derrière elle majestueusement. Des bois de cerf couronnaient sa tête dans lesquels étaient superbement emmêlés ses longs cheveux blonds. Des perles et des plaques d'or y pendaient comme des grigris, tandis que son regard flegmatique était souligné d'un trait bleu, rappelant avec humilité la robe de la jeune initiée qui lui faisait face en tremblant. L'Auguste fit signe à cette dernière de se rasseoir, et toute la salle l'imita. Chacun ouvrit son livre à la première page et elle prit la parole d'une voix calme et posée, qui résonna étonnamment fort dans toute la salle. Aucun doute que les Adeptes du fond l’entendaient aussi bien que les Maîtres du premier rang.

    « Auguste... Maîtres... Mécènes... Tous un jour nous nous sommes retrouvés assis sur ce trône, face à nos semblables, et sous la protection de l'Entité, notre Mère à tous »

    « Notre Mère à tous. » répondit la salle en chœur, lisant mot pour mot le livre.

        L’Auguste reprit.

    « Aujourd'hui nous célébrons la Contemplation de l'une de nos Initiés. Après six années d'études et de préparation, Iris, tu vas découvrir ton Totem. »

    « Découvrir ton Totem. » répéta la foule d'une voix.

    « Désormais il t'accompagnera tout au long de ta vie. Il sera ton guide, ton ami et ton allié. Et jamais il ne te quittera. Il sera ton phare dans la nuit, ton eau dans le désert, ton air lorsque tu suffoqueras et ton pain lorsque tu t'éteindras, accablée par la faim. Accepte-le et accueille-le. »

    « Car toi et lui ne ferez plus qu'un. Comme le jour et la nuit, l'ombre et la lumière, l'Homme et son Totem. » articula tout le monde simultanément.

        Après quelques secondes de silence, une dizaine de Mécènes se levèrent avec des instruments de musique et commencèrent à jouer solennellement. La foule les accompagna d’un chant harmonieux, une ode à la Grande Mère et à l’Ordre. En regardant autour d’elle, Arcane pouvait voir que chacun y mettait tout son cœur, chantant avec puissance et passion. Elle se retourna et pu voir que le couple royal se montrait plus timide mais faisait son possible pour participer. Le Prince lui, restait muet.

        Le chant se finit et le silence revint dans la salle. C’est à ce moment qu’Iris se leva lentement du trône. Doucement, l'Auguste la prit par les épaules et l’amena devant une petite porte à sa droite. Un énorme cadenas en or en interdisait l’accès. Deux Mécènes s’approchèrent de l’estrade et lui tendirent un coussin brodé où était posée une clef imposante. L’Auguste la saisit et ouvrit le passage. La porte s’ouvrit en grinçant, brisant le silence parfait du moment. Après une longue hésitation, l’Initiée lança un dernier regard vers l'assemblée, puis pénétra dans la salle suivante. Les membres de l'Ordre posèrent tous deux doigts sur leur front, fermèrent les yeux, et lui souhaitèrent 'bonne chance' tout bas.

        Sa Contemplation allait commencer.

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  •  

        Arcane entra dans la salle de cours. La cérémonie avait duré une bonne partie de la matinée. Une fois Iris partie, la salle avait entamé d’autres chants pour souhaiter courage et chance à l’Initiée pendant sa Contemplation. Quatre heures à rester debout et à chanter. Ça avait été d'un ennui mortel, la jeune fille ne comptait plus le nombre de bâillements qui s'étaient échappés de sa bouche. Ses jambes étaient en compote, elle qui avait l'habitude d'être assise à longueur de journée. Et maintenant elle se sentait faiblir. Elle se rappela qu’elle n’avait pas encore mangé aujourd’hui, s’étant réveillée en retard. Malheureusement pour elle et son estomac, il restait encore deux heures avant le déjeuner. Deux heures au cours d'histoire de M. Kelian, certainement la classe qu'elle aimait le moins.

        Les élèves commençaient à s'installer aux tables, face au siège du professeur. Il ne restait plus beaucoup de places pour s’asseoir. L'une d'elle était près d'un jeune homme aux cheveux roux et bouclés. L'autre, tout au devant de la classe, était près d'une fille avec qui Arcane avait parlé une ou deux fois. Une vraie casse-pied. Elle avait toujours raison sur tout et passait son temps à lécher les bottes des Mécènes enseignants.

        Il était cependant hors de question de s'asseoir près d'un garçon. Que penserait-on d'elle ? La jeune Initiée se dirigea d'un pas décidé vers la première rangée et s'installa à contrecœur près de sa camarade de classe, qui sembla très surprise d'avoir de la compagnie. Loin de lui rendre son sourire, Arcane plongea sa tête entre ses bras et poussa un long grognement.

    « Allons allons, un peu de tenue. Le cours va commencer, mesdemoiselles. » dit M. Kelian, semblant ignorer les deux garçons de la classe.

        Le calme s'installa dans la salle et le professeur tamisa les rayons du soleil en tirant quelques voilages devant les fenêtres. Il s'installa à son tour, faisant face à son auditoire et croisa les jambes.

    « Nous allons donc récapituler ce que nous avons vu cette semaine sous forme d'interrogation orale. »

        Une vague de contrariété survola la salle pendant quelques secondes, mais les chuchotements se turent lorsque M. Kelian reprit.

    « Qui peut me parler de l'histoire de L'Ordre, et plus particulièrement de ses débuts ? »

        Comme prévu, la voisine d'Arcane brandit sa main devant le visage du professeur. Tout le monde l'avait vu venir, et personne d'autre ne demanda à être interrogé, au plus grand désarroi de M. Kelian. Il fit un petit signe vers elle, l'autorisant à prendre la parole.

    « L'Ordre a été fondé à la création de la ville d'Ametis, il y a cinq mille ans. Il a été mis en place pour unir les Hommes lors des premiers temps de construction de la cité. L'Ordre constitue une ligne de conduite qui a permis de mettre une société en place lorsqu'Ametis n'était encore qu'une vaste plaine déserte. Les Hommes devaient rester soudés, et l'Ordre les y a aidé. »

    « Très bien, Leonil. Maintenant est-ce que quelqu'un peut me parler de L'Entité, notre grande mère ? »

        Encore une fois, seule la main de Leonil se leva, sous le regard consterné du professeur. Il se leva de manière lasse, et inspecta toute la classe. Chacun se fit tout petit et évita soigneusement de croiser son regard.

    « On va interroger quelqu'un d'autre... Hm, Astelle peut-être ? »

        Astelle se redressa sur son siège, cherchant désespérément de l'aide du regard. En vain. Elle balbutia :

    « L'Entité... C'est... Une femme. C'est la femme, c'est celle qui nous guide et nous élève... Non ? »

        Quelques rires s'élevèrent autour d'elle. Apparemment c'est tout ce qu'elle pouvait expliquer. Tout devant, Leonil se dandinait sur sa chaise en levant sa main le plus haut possible. « Si elle continue à tirer sur son bras comme ça il va finir par se décrocher » pensa Arcane. Le professeur se tourna vers une autre élève.

    « Ethen, peut-être ? »

        Ethen leva la tête, pleine d'embarras.

    « Eh bien... C'est notre mère, mais c'est pas la même dans la tête de tout le monde... »

        Nouveaux rires dans l'assemblée.

    « Hmmoui mais encore ? »

        Ethen haussa les épaules, signe qu'elle n'en savait pas plus. M. Kelian, agacé et oppressé par la main de Leonil qui se baladait sous son nez, finit par lui donner la parole.

    « L'Entité est une femme, celle que nous vénérons tous. La première femme d'Ametis. Son nom s'est perdu avec le temps, mais elle est notre mère à tous. C'est elle qui a élevé, cultivé et instruit les premiers Hommes à travers l'Ordre. Même si elle ne nous a pas mis au monde, c'est la mère adoptive de chacun d'entre nous. L'Entité est souvent représentée avec un sein nu, des vêtements amples pour couvrir ses enfants d'un voile d'amour, et des pupilles en pierres blanches pour éclairer leur chemin. Son visage varie selon les représentations ainsi que ses cheveux et sa corpulence, car chacun la représente comme la mère qu'il imagine. Il est très mal vu d'imposer son image de l'Entité à quelqu'un d'autre. »

    « Bien, très bien... » marmonna l'enseignant sans trop d'entrain, lui demandant de s'en tenir là d'un geste de la main.

        Voyant qu'il était vain de continuer à interroger la classe, il décida de continuer le cours par lui-même. Il dessina une pyramide au tableau et y plaça les différents grades. Tout en haut l'Entité, puis l'Auguste, suivit par la caste des Maîtres, puis des Mécènes, et enfin des Initiés. Il se tourna vers la classe.

    « A votre avis, pourquoi je n'ai pas inscrit les Adeptes dans cette hiérarchie ? »

        Comme toujours, la même main se leva. Sauf que cette fois-ci elle n'attendit pas avant de répondre. Arcane lui aurait bien cousu la bouche une fois pour toutes.

    « Parce que les Adeptes ne font pas partie de l'Ordre ! Ils en suivent les préceptes et les traditions mais n'ont jamais effectué d'Initiation ! »

    « Très bien... Et qui peut me donner le nom de grands Adeptes bien connus d'Ametis ? »

        Pour une fois, la bécasse ne fut pas la seule à connaître la réponse. Astelle, comme pour se racheter de sa réponse plus que moyenne de tout à l'heure, prit la parole.

    « La Reine Laedris, et le Roi Aleos, monsieur. »

    « Ainsi que leur fils ! Tu as oublié le Prince Alunir ! » ajouta Leonil d'un ton hautain.

        Arcane passa de l'envie de lui coudre la bouche à celle de lui écraser la tête sur son pupitre. Le professeur reprit comme si de rien n'était.

    « Donc tout en bas se trouvent les Initiés, il s'agit de vous tous. Ensuite ceux d'entre vous qui réussiront la cérémonie de Contemplation deviendront Mécènes. Encore au-dessus il y a les Maîtres, et puis l'Auguste. Mais j'ose espérer que vous connaissez déjà tout ça, en six ans d'initiation vous avez déjà dû en entendre parler, non ?  Oui Leonil, qu'y a-t-il? »

    « Mais vous monsieur, vous avez bien passé votre Contemplation ? »

    « Effectivement. »

    « Et pourquoi n'avez-vous pas voulu passer Maître, ensuite ? »

        Un petit rire parcourut les rangs. Tout le monde savait très bien pourquoi. Et Leonil aussi.

    « Et bien... Ce n'est pas une question de volonté... Parce que... C'est parce que je suis un homme, et cette castre est réservée uniquement aux femmes... »

    « Et donc si je comprends bien vous allez rester Mécène toute votre vie, sans espoir d'évoluer, c'est bien ça ? »

        Le professeur fronça les sourcils. Sa voix tremblait mais il resta droit, le regard confiant.

    « Ne nous attardons pas plus sur le sujet. Leonil, vous distrayez tout le monde, taisez-vous. Bien, à présent… Arcane, pouvez-vous nous parler des Totems, ainsi que des traditions et des pratiques de L'Ordre à ce sujet ? »

        Prise un peu au dépourvu, la jeune Initiée bondit de sa chaise. Mince, elle était ridicule à se tenir debout ainsi devant toute la classe. Mais il était trop tard pour se rasseoir, le professeur avait fixé son regard sur elle et ne la lâchait plus. Elle lui rendit un regard plein de mépris. C'est Leonil qui le ridiculisait, mais c'est à elle qu'il s'en prenait maintenant.

    « Allons, voyons ce que vaut notre élève la plus prometteuse. » ajouta-t-il, d'un ton railleur. Un grognement de jalousie émana de Leonil.

        Arcane le fusilla du regard et répondit d'une traite, confiante.

    « Lorsque les Hommes ont construit Ametis, ils se sont rapidement rendu compte que la région était porteuse de magie. Ils se mirent à changer et à développer des capacités étonnantes. Aujourd'hui cela fait partie des mœurs mais à l'époque, la découverte de son Totem était effrayante et nouvelle. C'est alors que L'Ordre est intervenu et a rassuré les villageois. Les Totems étaient une bénédiction et non un maléfice, mais encore fallait-il savoir les contrôler. Ainsi, une initiation fut instaurée pour apprendre à connaître et maîtriser les Totems. A l'époque, le phénomène était considéré comme un pouvoir surnaturel, seuls quelques élus le possédaient. Mais avec le temps, tout le monde a fini par développer ce talent. Et il est même inconcevable de ne pas avoir de Totem. Ceux qui n'en n'ont pas ou qui refusent de le montrer sont appelés les Profanes. Ces personnes sont des rebuts et ils doivent être annihilés. »

        Le regard malicieux de M. Kelian avait laissé place à une expression de fierté incontrôlée. « Tiens, dans les dents ! » se dit Arcane.

    « Eh, t'as oublié de dire que l'initiation était de six ans minimum. » cracha Leonil sans la regarder.

    « Je me suis dit qu'aucune cruche n'allait relever ce détail, puisque la formation de six ans en question, nous sommes en plein dedans !  » lui aboya Arcane. « Mais effectivement tu fais bien de préciser que six ans c'est le minimum, parce que toi tu risques d'y rester quelques décennies ! »

        Leonil se leva brutalement, le visage rouge de colère. Elle pointa son long doigt osseux sous le menton de sa camarade et couina :

    « Sale peste ! Tu verras, je ferai ma Contemplation bien avant toi, et mon Totem sera bien plus puissant et majestueux que le tien ! »

        De rage, Arcane donna un coup de pied dans sa chaise et gueula encore plus fort.

    « Essaye donc ! De toute façon avec tes yeux de merlan frit tu vas te retrouver avec un pauvre maquereau en guise de Totem ! »

        Malgré toutes ses tentatives, M. Kelian ne réussit pas à séparer les deux furies. Il fallut attendre dix minutes pour qu'un autre Mécène passe par là et les calme, avant de les traîner jusqu'au bureau de l'Auguste.

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  •     C'était clair et net, elles passaient un sale quart d'heure. L'Auguste les sermonnait depuis un moment déjà, sans jamais hausser la voix. Ça n'en était que plus terrifiant. Les deux Initiés avaient les yeux rivés sur leurs chaussures et ne pipaient mot. La seule chose qui consolait Arcane était que cette andouille de Leonil se faisait remonter les bretelles tout autant qu'elle. La jeune Initiée n'écoutait pas vraiment ce qu'on lui disait, elle entendait juste un marmonnement sourd mais n'y prêtait pas plus attention que ça. Après ce qui parut être une éternité, l'Auguste conclut.

    « Et que cela ne se reproduise plus. Nous ne sommes pas des sauvages, ici. »

        Les jeunes filles relevèrent la tête, affichant toutes deux un air de chien battu se voulant convainquant. Elles hochèrent de la tête à l'unisson.

    « Bien. Comme vous vous en doutez, vous êtes toutes les deux privées de déjeuner. Leonil, tu peux remonter aux dortoirs. »

        L'intéressée quitta la salle non sans un dernier regard haineux vers sa camarade. La porte claqua sèchement derrière elle, et le silence s'installa. Un silence durant lequel l'Auguste fit mine de remplir des dossiers, et signer des papiers divers de sa grande plume colorée. Arcane se tenait là, ne sachant trop quoi faire. Elle n'avait pas eu la permission de partir, mais la femme qui lui faisait face prenait soin de l'ignorer royalement.

        Arcane se racla timidement la gorge et fit un pas dans sa direction. L'Auguste releva lentement les yeux vers elle, les lèvres pincées, et posa délicatement sa plume.

    « C'est indigne de toi, Arcane. Tu devrais avoir honte de ton comportement. »

        Encore des remontrances. Cela n'allait donc jamais finir ?

    « Je suis désolée, mère. Cela ne se reproduira plus. »

        Être fustigée par l'Auguste était une chose, mais elle sentait qu'une couche de sermon supplémentaire arrivait, de la part de sa génitrice cette fois-ci.

        Étonnement, et à son plus grand soulagement, ce ne fut pas le cas.

    « Bon, je ne vais pas te blâmer d'avantage, je pense que tu as compris la leçon. Garde juste en tête que tu es la favorite de l’Ordre pour prendre ma place, ma fille. Et quand tu me succèderas tu ne pourras pas te permettre d'agir de la sorte.

    « Oui mère. » répondit-elle tout bas.

        L'Auguste se leva et marcha vers elle en se massant les tempes. Lorsqu'elle fut à son niveau, elle posa doucement ses mains sur les épaules de son enfant.

    « En parlant de prendre ma place... Tes six ans d'Initiation touchent à leur fin il me semble. »

        Arcane se redressa d'un coup et dévisagea sa mère avec stupeur. Effectivement, cela faisait bientôt six années qu'elle suivait consciencieusement sa formation. Allait-elle lui dire qu'elle était prête pour sa Contemplation ? Ou bien qu'elle pourrait passer directement au rang de Maître ? Ou mieux encore, d'Auguste ?

    « Nous avons un problème. »

        Tous les espoirs de la jeune fille s'évanouirent à cette seule phrase. Un problème ? Quel problème ? N’avait-elle pas été aussi douée qu’elle le pensait, pendant ses six années ? Avait-elle fait quelque chose de mal ? Était-ce lié à l'altercation avec Leonil ?

    « Les Maîtres refusent que je te fasse passer ta Contemplation car nous sommes de la même famille. Il semblerait que ça puisse paraître injuste aux yeux des autres Initiés. »

        Arcane cessa de respirer.

    « Est-ce que la cérémonie peut être présidée par quelqu'un d'autre ? »

    « Tu te doutes bien que non. » répondit l'Auguste en grimaçant. « Elles essayent juste de nous mettre des bâtons dans les roues. Les vieilles peaux... »

    « Que puis-je faire pour qu'elles changent d'avis ? »

        Sa mère croisa son regard en affichant une mine dépitée, elle-même n'en savait fichtrement rien semblait-il.

        Six ans d'Initiation, six ans de formation intense et de nuits blanches à apprendre et réviser, tout ça pour rien. Arcane passa du désespoir à la colère à celle seule pensée. Des années entières de sa vie gâchées à cause de cette bande de morues !

        Sa mère lui prit gentiment le poignet et lui releva le menton.

    « Ne t'inquiète pas, Arcane. Nous ne nous laisserons pas faire par ces harpies. Nous trouverons une solution. »

        Et sur ces mots, Arcane hocha de la tête, et quitta le bureau.

     

     

    **

     

     

        La jeune fille avait passé la journée à ruminer. Elle n'avait pas assisté aux cours de l'après-midi, car après tout à quoi bon se donner du mal pour rien ? Elle était partie se balader dans les Jardins de la Curiosité, sur lesquels donnait sa fenêtre de dortoir. En six ans elle n'avait jamais réellement pris le temps de les visiter. Chaque fois qu'elle arrivait dans sa chambre et les voyait par sa fenêtre, elle était trop fatiguée, ou elle avait des choses plus importantes à faire, ou bien elle était pressée. Il avait fallu qu'elle sèche les cours pour pouvoir enfin explorer cette vaste étendue de pelouse, avec ses arbres somptueusement taillés et ses fleurs aux couleurs éblouissantes.

        Elle avait décidé de prendre cet après-midi pour elle. Elle avait tant donné ces dernières années, qu'elle estimait avoir bien le droit de prendre du bon temps, à présent. Elle s'était étalée de tout son long dans la pelouse fraîchement tondue et s'était délectée du soleil qui caressait sa peau ivoire. Elle avait défait son chignon et s'était délestée de son écharpe de cérémonie. Un pur délice.

        Et elle était restée là jusqu'à la tombée du jour, à penser à sa vie, à ses cours et aux Maîtres, qui voulaient l'empêcher d'accéder à la place qui lui était due. Sans plus aucune tristesse ni colère, elle cherchait un moyen de les faire changer d'avis. Toute sa vie elle s'était préparée à devenir l'Auguste, elle avait fait des sacrifices énormes pour en arriver là, tout ne pouvait pas s'arrêter maintenant.

        Une brise fraîche lui caressa la nuque. Il faisait bientôt nuit, il était temps de rentrer dîner. Un grondement sourd venant de son estomac lui rappela qu'elle n'avait pas mangé de la journée, Arcane pressa le pas jusqu'à la grande tour.

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