• Chapitre 2

     

        Arcane entra dans la salle de cours. La cérémonie avait duré une bonne partie de la matinée. Une fois Iris partie, la salle avait entamé d’autres chants pour souhaiter courage et chance à l’Initiée pendant sa Contemplation. Quatre heures à rester debout et à chanter. Ça avait été d'un ennui mortel, la jeune fille ne comptait plus le nombre de bâillements qui s'étaient échappés de sa bouche. Ses jambes étaient en compote, elle qui avait l'habitude d'être assise à longueur de journée. Et maintenant elle se sentait faiblir. Elle se rappela qu’elle n’avait pas encore mangé aujourd’hui, s’étant réveillée en retard. Malheureusement pour elle et son estomac, il restait encore deux heures avant le déjeuner. Deux heures au cours d'histoire de M. Kelian, certainement la classe qu'elle aimait le moins.

        Les élèves commençaient à s'installer aux tables, face au siège du professeur. Il ne restait plus beaucoup de places pour s’asseoir. L'une d'elle était près d'un jeune homme aux cheveux roux et bouclés. L'autre, tout au devant de la classe, était près d'une fille avec qui Arcane avait parlé une ou deux fois. Une vraie casse-pied. Elle avait toujours raison sur tout et passait son temps à lécher les bottes des Mécènes enseignants.

        Il était cependant hors de question de s'asseoir près d'un garçon. Que penserait-on d'elle ? La jeune Initiée se dirigea d'un pas décidé vers la première rangée et s'installa à contrecœur près de sa camarade de classe, qui sembla très surprise d'avoir de la compagnie. Loin de lui rendre son sourire, Arcane plongea sa tête entre ses bras et poussa un long grognement.

    « Allons allons, un peu de tenue. Le cours va commencer, mesdemoiselles. » dit M. Kelian, semblant ignorer les deux garçons de la classe.

        Le calme s'installa dans la salle et le professeur tamisa les rayons du soleil en tirant quelques voilages devant les fenêtres. Il s'installa à son tour, faisant face à son auditoire et croisa les jambes.

    « Nous allons donc récapituler ce que nous avons vu cette semaine sous forme d'interrogation orale. »

        Une vague de contrariété survola la salle pendant quelques secondes, mais les chuchotements se turent lorsque M. Kelian reprit.

    « Qui peut me parler de l'histoire de L'Ordre, et plus particulièrement de ses débuts ? »

        Comme prévu, la voisine d'Arcane brandit sa main devant le visage du professeur. Tout le monde l'avait vu venir, et personne d'autre ne demanda à être interrogé, au plus grand désarroi de M. Kelian. Il fit un petit signe vers elle, l'autorisant à prendre la parole.

    « L'Ordre a été fondé à la création de la ville d'Ametis, il y a cinq mille ans. Il a été mis en place pour unir les Hommes lors des premiers temps de construction de la cité. L'Ordre constitue une ligne de conduite qui a permis de mettre une société en place lorsqu'Ametis n'était encore qu'une vaste plaine déserte. Les Hommes devaient rester soudés, et l'Ordre les y a aidé. »

    « Très bien, Leonil. Maintenant est-ce que quelqu'un peut me parler de L'Entité, notre grande mère ? »

        Encore une fois, seule la main de Leonil se leva, sous le regard consterné du professeur. Il se leva de manière lasse, et inspecta toute la classe. Chacun se fit tout petit et évita soigneusement de croiser son regard.

    « On va interroger quelqu'un d'autre... Hm, Astelle peut-être ? »

        Astelle se redressa sur son siège, cherchant désespérément de l'aide du regard. En vain. Elle balbutia :

    « L'Entité... C'est... Une femme. C'est la femme, c'est celle qui nous guide et nous élève... Non ? »

        Quelques rires s'élevèrent autour d'elle. Apparemment c'est tout ce qu'elle pouvait expliquer. Tout devant, Leonil se dandinait sur sa chaise en levant sa main le plus haut possible. « Si elle continue à tirer sur son bras comme ça il va finir par se décrocher » pensa Arcane. Le professeur se tourna vers une autre élève.

    « Ethen, peut-être ? »

        Ethen leva la tête, pleine d'embarras.

    « Eh bien... C'est notre mère, mais c'est pas la même dans la tête de tout le monde... »

        Nouveaux rires dans l'assemblée.

    « Hmmoui mais encore ? »

        Ethen haussa les épaules, signe qu'elle n'en savait pas plus. M. Kelian, agacé et oppressé par la main de Leonil qui se baladait sous son nez, finit par lui donner la parole.

    « L'Entité est une femme, celle que nous vénérons tous. La première femme d'Ametis. Son nom s'est perdu avec le temps, mais elle est notre mère à tous. C'est elle qui a élevé, cultivé et instruit les premiers Hommes à travers l'Ordre. Même si elle ne nous a pas mis au monde, c'est la mère adoptive de chacun d'entre nous. L'Entité est souvent représentée avec un sein nu, des vêtements amples pour couvrir ses enfants d'un voile d'amour, et des pupilles en pierres blanches pour éclairer leur chemin. Son visage varie selon les représentations ainsi que ses cheveux et sa corpulence, car chacun la représente comme la mère qu'il imagine. Il est très mal vu d'imposer son image de l'Entité à quelqu'un d'autre. »

    « Bien, très bien... » marmonna l'enseignant sans trop d'entrain, lui demandant de s'en tenir là d'un geste de la main.

        Voyant qu'il était vain de continuer à interroger la classe, il décida de continuer le cours par lui-même. Il dessina une pyramide au tableau et y plaça les différents grades. Tout en haut l'Entité, puis l'Auguste, suivit par la caste des Maîtres, puis des Mécènes, et enfin des Initiés. Il se tourna vers la classe.

    « A votre avis, pourquoi je n'ai pas inscrit les Adeptes dans cette hiérarchie ? »

        Comme toujours, la même main se leva. Sauf que cette fois-ci elle n'attendit pas avant de répondre. Arcane lui aurait bien cousu la bouche une fois pour toutes.

    « Parce que les Adeptes ne font pas partie de l'Ordre ! Ils en suivent les préceptes et les traditions mais n'ont jamais effectué d'Initiation ! »

    « Très bien... Et qui peut me donner le nom de grands Adeptes bien connus d'Ametis ? »

        Pour une fois, la bécasse ne fut pas la seule à connaître la réponse. Astelle, comme pour se racheter de sa réponse plus que moyenne de tout à l'heure, prit la parole.

    « La Reine Laedris, et le Roi Aleos, monsieur. »

    « Ainsi que leur fils ! Tu as oublié le Prince Alunir ! » ajouta Leonil d'un ton hautain.

        Arcane passa de l'envie de lui coudre la bouche à celle de lui écraser la tête sur son pupitre. Le professeur reprit comme si de rien n'était.

    « Donc tout en bas se trouvent les Initiés, il s'agit de vous tous. Ensuite ceux d'entre vous qui réussiront la cérémonie de Contemplation deviendront Mécènes. Encore au-dessus il y a les Maîtres, et puis l'Auguste. Mais j'ose espérer que vous connaissez déjà tout ça, en six ans d'initiation vous avez déjà dû en entendre parler, non ?  Oui Leonil, qu'y a-t-il? »

    « Mais vous monsieur, vous avez bien passé votre Contemplation ? »

    « Effectivement. »

    « Et pourquoi n'avez-vous pas voulu passer Maître, ensuite ? »

        Un petit rire parcourut les rangs. Tout le monde savait très bien pourquoi. Et Leonil aussi.

    « Et bien... Ce n'est pas une question de volonté... Parce que... C'est parce que je suis un homme, et cette castre est réservée uniquement aux femmes... »

    « Et donc si je comprends bien vous allez rester Mécène toute votre vie, sans espoir d'évoluer, c'est bien ça ? »

        Le professeur fronça les sourcils. Sa voix tremblait mais il resta droit, le regard confiant.

    « Ne nous attardons pas plus sur le sujet. Leonil, vous distrayez tout le monde, taisez-vous. Bien, à présent… Arcane, pouvez-vous nous parler des Totems, ainsi que des traditions et des pratiques de L'Ordre à ce sujet ? »

        Prise un peu au dépourvu, la jeune Initiée bondit de sa chaise. Mince, elle était ridicule à se tenir debout ainsi devant toute la classe. Mais il était trop tard pour se rasseoir, le professeur avait fixé son regard sur elle et ne la lâchait plus. Elle lui rendit un regard plein de mépris. C'est Leonil qui le ridiculisait, mais c'est à elle qu'il s'en prenait maintenant.

    « Allons, voyons ce que vaut notre élève la plus prometteuse. » ajouta-t-il, d'un ton railleur. Un grognement de jalousie émana de Leonil.

        Arcane le fusilla du regard et répondit d'une traite, confiante.

    « Lorsque les Hommes ont construit Ametis, ils se sont rapidement rendu compte que la région était porteuse de magie. Ils se mirent à changer et à développer des capacités étonnantes. Aujourd'hui cela fait partie des mœurs mais à l'époque, la découverte de son Totem était effrayante et nouvelle. C'est alors que L'Ordre est intervenu et a rassuré les villageois. Les Totems étaient une bénédiction et non un maléfice, mais encore fallait-il savoir les contrôler. Ainsi, une initiation fut instaurée pour apprendre à connaître et maîtriser les Totems. A l'époque, le phénomène était considéré comme un pouvoir surnaturel, seuls quelques élus le possédaient. Mais avec le temps, tout le monde a fini par développer ce talent. Et il est même inconcevable de ne pas avoir de Totem. Ceux qui n'en n'ont pas ou qui refusent de le montrer sont appelés les Profanes. Ces personnes sont des rebuts et ils doivent être annihilés. »

        Le regard malicieux de M. Kelian avait laissé place à une expression de fierté incontrôlée. « Tiens, dans les dents ! » se dit Arcane.

    « Eh, t'as oublié de dire que l'initiation était de six ans minimum. » cracha Leonil sans la regarder.

    « Je me suis dit qu'aucune cruche n'allait relever ce détail, puisque la formation de six ans en question, nous sommes en plein dedans !  » lui aboya Arcane. « Mais effectivement tu fais bien de préciser que six ans c'est le minimum, parce que toi tu risques d'y rester quelques décennies ! »

        Leonil se leva brutalement, le visage rouge de colère. Elle pointa son long doigt osseux sous le menton de sa camarade et couina :

    « Sale peste ! Tu verras, je ferai ma Contemplation bien avant toi, et mon Totem sera bien plus puissant et majestueux que le tien ! »

        De rage, Arcane donna un coup de pied dans sa chaise et gueula encore plus fort.

    « Essaye donc ! De toute façon avec tes yeux de merlan frit tu vas te retrouver avec un pauvre maquereau en guise de Totem ! »

        Malgré toutes ses tentatives, M. Kelian ne réussit pas à séparer les deux furies. Il fallut attendre dix minutes pour qu'un autre Mécène passe par là et les calme, avant de les traîner jusqu'au bureau de l'Auguste.

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