• Les Spectres d'Hel-Brun (partie 3)

    Les Spectres d'Hel-Brun (partie 3)

     

     Sur tout le chemin, Lawrence ne s'arrêta pas une fois de parler. Il s'émerveillait à la moindre chose qu'il croisait sur son chemin et le garçon devait s'arrêter tous les dix mètres pour l'attendre. De plus, il ne cessait de piailler pour rien. Une fleur par-ci, un papillon par là, un écureuil un peu plus loin... Il était intenable, et ne se taisait jamais. Melvil se dit qu'il avait dû être seul dans cette cabane pendant très longtemps. Tout ce qu'il disait n'avait pas tout le temps de sens, mais le garçon ne s'en souciait pas, cela animait un peu le trajet du retour.
    Ils arrivèrent à l'orée de la forêt lorsque le ciel commença à se teinter d'éclats oranges et roses. Le soleil terminait son cycle derrière les montagnes qui encerclaient le village. Hel-brun était magnifique sous le ciel  aux couleurs pastels. Law prit une énorme bouffée d'air frais avant de franchir l'entrée du village, marqué par deux larges piliers de bois massifs. La femme qui les accueillit le débarrassa de la sacoche pleine de champignons, et Melvil alla se jeter dans les bras de sa mère. Avant même de l'embrasser il s'empressa de lui raconter ses aventures de la journée, la voix pleine d'enthousiasme. Il lui conta comment il avait échappé aux brigands, comment ils avaient fait exploser la maison de Lawrence avec du feu, et comment il avait retrouvé ce dernier sous les décombres, assoupit. Sa mère, quelque peu affolée par les récits de son fils, lui caressa tendrement la tête et lui répondit simplement qu'elle était heureuse de le revoir sain et sauf. Remarquant la suie et la terre qui lui colorait le visage et les mains, elle lui proposa d'aller prendre un bain. Tous deux s'en furent dans leur maison de rondins, et Lawrence en profita pour découvrir un peu le village. Ce n'est pas exactement ce à quoi il s'attendait en pensant rejoindre la civilisation. Le village était minuscule, il ne devait y avoir qu'une cinquantaine de personnes y habitant.
    En vérité, il ne savait pas trop à quoi il s'attendait. Il n'avait jamais quitté sa cabane de bois. Mais son père lui avait souvent décrit le monde extérieur. Mais où étaient les immeubles, les voitures, les grandes avenues couvertes de béton ? Où était cette fameuse technologie dont les humains ne pouvaient se passer ? Où était la tour Eiffel ? Les temples qui touchaient les nuages ? Les statues titanesques ? Tant d'histoires et de lieux qu'il avait imaginé le soir, plongé dans les centaines de livres qui enrichissaient le salon et son esprit. Lawrence lâcha un soupir bruyant. Après avoir fait deux fois le tour du village, ce qui lui prit environ vingt minutes, il se dit simplement que la Terre avait dû beaucoup changer depuis l'époque de son père. Peut-être que les humains avaient abandonné ce mode de vie pour revenir à l'essentiel, à la vie simple et calme d’antan.
    Il ne put néanmoins cacher sa déception. Il avait espéré plus, il avait espéré mieux. Plus grand, plus solide, plus éblouissant. Cela n'empêcha pas les habitants du village de l'accueillir chaleureusement : il fut invité à dormir chez le petit Melvil, on lui donna de l'eau et du savon pour se laver, et on raccommoda ses vêtements.
    Le soir, lorsque les habitants les plus robustes furent rentrés de la chasse, arcs et haches encore à la main, il fut invité à les rejoindre pour le souper. Bien qu'il refusa poliment la nourriture qu'on lui offrait, il tint compagnie aux membres du village pendant qu'ils se restauraient. Il en profita pour poser quelques questions sur la région.
    « Eh bien, au Nord il y a quelques vieilles maisons en ruine, plus personne ne les habite mais si vous continuez dans cette direction encore quelques jours, vous y trouverez le fort de Beregrak, une grande ville très dynamique à ce que j'ai entendu. Apparemment ils y a des fiacres partout dans la ville, et les rues sont même éclairées avec des réverbères ! Tandis que de l'autre côté de la forêt à l'Ouest, il y a Valdencia mais ça vous devez connaître, vous habitiez juste à côté. »
    « Eh bien... Non... Pas vraiment. »
    « Vous n'y êtes jamais allé ? Pas une seule fois ? »
    « Disons que je... eh bien... J'ai... Je ne suis pas souvent sorti de chez moi. »
    Lawrence se tut un instant. Comment expliquer sa situation sans trop en dire ? Il connaissait bien peu la région, et très mal les humains. Mais il avait besoin de renseignements. Se tournant vers la mère de Melvil, il tenta le tout pour le tout :
    « En réalité je ne suis jamais sorti de chez moi. Pas une seule fois... Je ne connais pas la région, ni les gens qui y habitent. Expliquez moi tout, faites comme si j'étais tombé du ciel et racontez-moi toute votre histoire. Depuis le début. »
    « Très bien, répondit-elle avec un regard stupéfait. Tous les habitants de ce village sont nés et ont grandi ici. Nous évitons de nous éloigner de trop. Nous chassons dans les environs et nous cultivons tout nous-même, donc nous ne connaissons pas grand chose au reste du monde. Tout ce que je peux vous dire c'est que lors de la Grande Fin il y a 100 ans, mon village a choisi de quitter les grandes villes et de venir s'isoler ici. »
    « La Grande Fin ? Qu'est-ce que c'est ? »
    « La fin des temps, voyons ! La fin des hommes... ! L'apocalypse ! Ca ne vous dit rien ? » Devant la mine déconfite du pantin qui haussait les épaules, la jeune femme poursuivit avec un soupir.
    « Bon sang, où étiez-vous pendant ces dernières décennies ? »
    « Chez moi... Avec mon père et mes frères... »
    La jeune femme le regarda avec une douceur teinté d'incompréhension.
    « Bon. Il y a une centaine d'années, la Terre s'est retournée contre nous. Abîmée par nos constructions, meurtrie par notre pollution, et vexée de notre indifférence, la planète a envoyé des marrées engloutir les ports, des séismes ravager les terres, des tornades déraciner les villes. En quelques années, la population a baissé de moitié. Puis un jour, un géologue a prédit que tous les volcans, jeunes ou vieux, éteints ou en activité allaient se réveiller sur l'ensemble de la surface planétaire et tout engloutir sous la lave. Après cette annonce, les riches et les personnes influentes se sont enfuis dans les étoiles, nous laissant tous à notre sort. Heureusement pour nous, la prédiction du géologue s'est avérée fausse, les volcans sont restés en sommeil. Mais nous nous sommes retrouvés abandonnés, sans repères et sans dirigeants. Les survivants se sont donc organisés en petits villages comme le notre, éparpillés partout sur le globe. »
    « Je vois... Je suis désolé pour vous. »
    « Il ne faut pas. Vous êtes dans la même situation, non ? »
    « Il semblerait, oui... Mais parlez moi des autres villages. »
    Une homme lui proposa un bol de soupe, que Law déclina gentiment d'un geste de la main. La salle était silencieuse, tout le monde écoutait la discussion avec grand intérêt, éberlué que Lawrence ne soit pas au courant de tout ça. La jeune femme poursuivit.
    « A mon avis, les métropoles ont été désertées. Les bâtiments sont en ruines et certainement inhabitables. Vous savez, nous voyons très peu de voyageurs comme vous. Je pense que tout comme Hel-Brun, les autres villages préfèrent rester soudés, isolés, et rester entre eux. Nous passons nos journées à travailler la terre et nous occuper des animaux et des enfants. »
    Comme pour illustrer ses propos, un cri de joie se fit entendre de l'autre côté de la grande tente. Deux bambins s'amusaient à se barbouiller mutuellement de soupe de champignon, sous le regard sévère de leur père.
    Après quelques minutes de réflexion, et sans plus de questions, Lawrence remercia la jeune femme, et quitta la tente afin de les laisser finir leur repas tranquillement.
     

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