• Les Spectres d'Hel-Brun (partie 5)

       D’après le petit garçon, les spectres apparaissaient tout le temps au pied de la statue qui se tenait sur la place du village, toujours à la même heure. Les habitants du village avaient disposé à cet endroit précis leurs récoltes et quelques objets de valeur. Le tout était encerclé par une couronne de fleurs fraîches que la doyenne avait tressée plus tôt dans la soirée.
       L’étonnant autel d’offrandes avait été délicatement déposé sur la stèle de la statue, qui brandissait fièrement sa serpe vers le ciel étoilé. Quelques bougies avaient été disposées tout autour, baignant la scène dans leur douce lueur dansante.
       Le village était désert, tous les habitants étaient rentrés se terrer dans leur maison. On n'entendait plus un bruit. Ni les cris des enfants, ni les aboiements du chien, ni même le gloussement des poules endormies. Seul une brise mordante venait caresser les quelques touffes d'herbes et faire vibrer les flammes des bougies.
       Tapis dans l’ombre de l’étable, Lawrence et Melvil attendaient depuis une dizaine de minutes accroupis, les yeux rivés sur la petite place au centre du village. Pressés l'un contre l'autre, le souffle court au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient, Melvil jetait de vifs coups d'oeil au cadran lunaire. Plusieurs fois il avait averti Lawrence que les spectres n'aimeraient pas qu'on les épie. Ils risquaient de se mettre en colère et de brûler une maison, ça aussi il lui avait répété mille fois, mais le pantin n'avait pas l'air très inquiet. « On aura qu'à rester cacher, ils ne nous verront pas. Et s'ils ne nous voient pas, ils ne se mettront pas en colère. » avait-il expliqué simplement.
       Mais le petit garçon restait perplexe face à cet argument.
       C'était des spectres, ils voyaient tout, entendaient tout. Il n'avait aucune envie de les provoquer.
       Alors que Melvil allait pousser un soupir bruyant pour exprimer son mécontentement, un grésillement se fit entendre. Un bruit très strident lui suivit, puis plus rien. Ils scrutèrent la petite place, mais au premier abord rien n'avait l'air anormal. Rien sauf six petites billes blanches qui les observaient.
       Des yeux.
       Trois paires d'yeux qui les dévisageaient, flottants près des offrandes de la petite place. Puis des ombres se matérialisèrent autour d'elles, des silhouettes humaines, immobiles masses noires dans la nuit. Elles restèrent ainsi, observant les deux garçons, pendant un long moment. Melvil et Lawrence n'osèrent pas bouger d'un pouce, comme pétrifiés.
       Une minute s'écoula, une minute qui sembla durer une éternité. Au bout d'une minute, un nouveau grésillement se fit entendre, suivi par une détonation assourdissante, une explosion qui fit voler la terre et les cultures, à peine à cinq mètres de Lawrence et Melvil. Le pantin, en une ultime seconde, enveloppa le jeune garçon de son corps pour le protéger des projections. Un des poteaux de l'enclos aux vaches aurait heurté la tête du petit humain si Law n'avait pas été sur sa trajectoire. Au lieu de ça il rebondit simplement avec un bruit creux sur le dos en bois du pantin. Une fois tous les débris tombés à terre, il se retourna pour faire face aux trois ombres.
    « Offrez. Offrez et vous serez épargnés. »

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