• Ascension (Nouvelle)

      Nous étions plusieurs dans la pièce. Peut-être quatre ou cinq, je n’y ai pas prêté grande attention. J’étais obnubilée par ce qui se passait hors de notre pièce de verre. Par les murs transparents qui nous entouraient on voyait le sol s’éloigner, les arbres se glisser sous nos pieds, les maisons devenir de plus en plus petites à mesure que notre ascenseur de verre grimpait dans les airs.

      On avait quitté la terre ferme d’un coup, honnêtement aujourd’hui encore  je n’ai toujours aucune idée de comment j’ai atterri là. Mais nous étions dans cette vaste salle transparente, fonçant vers le ciel en ligne droite comme une fusée. Rien ne semblait propulser le cube de verre, aucun moteur aucun câbles : il s’élevait à bonne allure comme par magie.
    Tout d’abord les maisons devinrent aussi petites que des fourmis, seuls les immeubles qui nous encerclaient nous accompagnaient dans notre montée. Le sol n’était déjà plus qu’un vaste plateau de vert et de gris, et la ligne d’horizon commençait à se courber au loin, au fur et à mesure que l’on montait. C’était magnifique, on aurait dit que l’on regardait un documentaire sur les fusées, ou bien une de ces expériences filmées où on envoyait un ballon météorologique dans le ciel. Tout semblait ridiculement petit en dessous de nous, on se sentait pousser des ailes.

      Bientôt nous dépassâmes les premiers nuages, le soleil semblait à notre hauteur, quelques kilomètres à l’Est et nous aurions pu tendre le bras pour le toucher. Si proche mais si loin. Nous transperçâmes d’autres nuages plus épais et plus gros. Plus noirs, plus chargés. La tension lourde qui en émanait aurait fait flotter mes cheveux s’ils n’étaient pas déjà plaqués sur ma nuque par la force de la propulsion. Pendant un moment qui parut une éternité nous ne virent plus que du gris, du blanc, du noir, et les gouttes qui fusaient sur le verre de notre ascenseur comme si elles en avaient été chassées par le diable en personne. Nous quittâmes ensuite les nuages et nous retrouvâmes au-dessus du matelas de coton qu’ils formaient. Les rayons du soleil avaient moins d’emprise sur la lumière ici, cachés par les immenses et colossaux immeubles, et amoindris par l’épaisse couche de nuages qui défilait à présent sous nos pieds. Je m’étonnais d’être toujours entourée d’immeubles, ils montaient bien plus haut que je ne l’aurais cru. Je n’eus pas le temps de m’interroger plus longtemps sur le sujet car une secousse violente ébranla notre ascenseur de verre. Nous fûmes tous projetés au sol violemment. Pourtant rien ne semblait l’avoir percuté, et elle continuait toujours à monter. Peut-être même avait-elle accéléré son ascension, mais je manquais trop de repères pour l’affirmer.

      Tout comme mes camarades d’ascension, je me relevais avec peine lorsque mon regard se posa sur le sol transparent de la pièce. Une deuxième couche de nuage nous encercla et disparu rapidement sous nos pieds, accompagnée d’une deuxième secousse. Une troisième arriva, et nous fîmes tous un bond car un cours instant nous crûmes voir une plateforme flotter à sa surface, avec des véhicules volants et toutes sortes de personnages grouillants dessus. L’image s’effaça presque immédiatement, happée par une nouvelle couche de nuages. Encore sous le choc, je croisais le regard –pour la première fois- de mes compagnons de voyage. A leur mine je pouvais deviner qu’ils avaient vu la même chose que moi.

      Un nouveau passage de nuage et cette fois ce fut une ville entière qui se dévoila à nous, une gigantesque, magnifique ville toute d’ocre et de sable, aux couleurs d’un coucher de soleil. J’aurais dû m’extasier, mais j’étais plus préoccupée par la hauteur qui  me séparait à présent du sol. Je n’avais pas facilement le vertige mais à présent, la seule pensée des milliers de kilomètres qui me séparaient du sol me donnait le tournis. Mes jambes commencèrent à trembler, à devenir toutes molles et je sentis mes muscles me lâcher. Je fis mon possible pour rester debout, prise d’une peur soudaine que la cage de verre ne cède si je m’effondrais dessus. Un nouveau paysage s’offrit à nous, mais je ne lui accordais même pas un regard. Un nouveau sol qui s’échappait sous nos pieds, une distance encore plus grande qui nous séparait de la terre ferme : voilà tout ce que je voyais.

      Une peur panique s’empara de moi. Doucement, je cherchais le sol de la prison de verre avec les mains, j’y posais le plus délicatement possible mes deux genoux. Nous ne cessions de monter. De cette hauteur, si le sol se brisait, je mourrais très certainement dans la seconde. Non pas à cause de la pression ni du manque d’air : une peur assassine s’emparerait de moi et me ferait immédiatement succomber. J’avais le cœur au bout des lèvres, prêt à lâcher, mes mains étaient moites et je n’arrivai plus à réfléchir. Seule ma chute éventuelle s’emparait de moi, et je ne pouvais penser à rien d’autre. Quand bien même si je survivais à la pression, au manque d’air, à l’arrêt cardiaque, et que j’évitais les sols de toutes les stations volantes que nous avions dépassé, je mettrais certainement une éternité à atteindre le sol. Une éternité à attendre le choc qui me serait mortel. Une éternité terrifiante. Et un choc sec. Violent. Brutal.
    Et mortel.

      Je m’évanouis à cette pensée.


      Lorsque je me réveillais, je n’étais plus dans la cage. J’étais allongée sur un sol dallé aux couleurs sable, comme nous avions pu en voir durant notre ascension. Mes camarades –je supposais que c’était eux car je ne me souvenais pas d’un seul de leur visage- tout comme moi se relevaient péniblement. Je n’étais sans doute pas la seule à avoir perdu connaissance. Une fois stable sur mes genoux, je sentis une gêne dans le dos, comme un poids qui me tirait vers l’arrière. En y passant ma main, une texture douce vint me chatouiller les doigts. Je sentis une chaleur s’en dégager, et un frémissement s’en saisir. Je vérifiais du coin de l’œil de quoi il s’agissait.
    Des ailes.

      J’avais des ailes. Pas des petits machins de poulet, non des belles grandes ailes de cygne qui se déployait dans mon dos. Elles bougeaient comme n’importe quelle partie de mon corps : à ma demande. Et j’eus l’impression de toujours les avoir eues sans jamais m’en apercevoir avant. Un bref coup d’œil m’indiqua que mes camarades étaient dans la même situation. Etrangement, l’envie de faire battre ses ailes pour essayer de s’envoler ne frôla personne. Nous n’avions plus aucune envie de quitter le sol.
    Je crois que la découverte d’une nouvelle partie de notre anatomie chassa toute la peur et le désespoir qui s’étaient emparés de nous un peu plus tôt. Notre terrifiante ascension était devenue un mauvais souvenir, à présent nous étions sur la terre ferme et nous ne risquions plus de tomber. Tout en me relevant je remarquais que ma tenue avait également changé. J’étais désormais affublée de quelques sacoches autour des hanches et des cuisses, qui s’accrochaient à moi comme si elles avaient eu des tentacules. Dedans se trouvaient des objets divers et variés que je ne connaissais pas et dont je n’aurais jamais pu deviner l’utilité.
    Nous étions tous debout à présent, et en regardant tout autour, nous remarquâmes que nous étions seuls dans cette grande ville céleste. Ses rues semblaient vides, et même la grande place où ils se trouvaient était déserte. Pas un bruit ne se faisait entendre, seuls les échos de leurs pas et leurs chuchotements revenaient à leurs oreilles.

      Soudain, une voix grave retentit tout autour d’eux.

    « Bienvenue, chers Gardiens. »

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